Entre deux (re)découvertes de films sur grand écran, le Ciné-club de Montereau vous propose de poursuivre l’exploration, le partage et la passion du cinéma sur son site, à travers une série d’articles inédits.
LIVRES DE CINÉMA
Ce témoignage littéraire est une nouvelle preuve s’il en fallait une que Thierry Frémaux, malgré toutes ses différentes casquettes (directeur délégué du festival de Cannes, directeur de l’institut Lumière, organisateur du festival Lumière) est un véritable écrivain. Ce témoignage se veut un portrait précis, chaleureux et amical de la personnalité tout en complexité de Bertrand Tavernier. L’auteur aborde les différentes facettes de son ami mais aussi de celui qui restera pour toujours son père de cinéma. Dans ce court récit, tout y passe, le Tavernier cinéphile, le Tavernier réalisateur et le Tavernier politique même si cet aspect est un peu mis de côté et occulte beaucoup les combats menés par le cinéaste lyonnais pour la défense du cinéma français.
Frémaux relate les nombreuses amitiés de Tavernier et son dynamisme hors normes qui ont fait de lui l’un des plus grands marathoniens de la cinéphilie internationale ; des salles de cinéma parisiennes ou provinciales aux festivals français mais aussi étrangers. C’est un portrait saisissant de cet ogre assoiffé de films mais aussi de littérature. Frémaux insiste également sur ses qualités de chercheur mais ne parvient pas à trouver le mystère de son érudition. Répondant à cette question de l’érudition, Tavernier lâchera cette phrase énigmatique : « Je sais beaucoup de choses car je ne regarde pas la télévision ».
L’ouvrage revient sur les critiques négatives du Monde, des Cahiers mais aussi et surtout de Libération depuis plus de 40 ans. Frémaux revient en détail sur le portrait très négatif publié par le quotidien de gauche au lendemain de la disparition de Tavernier. Il essaye de répondre à chaque argument avancé par Libération pour démonter les films mais aussi la personnalité de Tatave, lui reprochant son côté bon vivant (mieux vaut un bon vivant qu’un mauvais mort aurait répondu Tavernier). Frémaux tente de comprendre cette détestation en règle d’une partie de la critique Française envers le réalisateur. Il tente de démontrer que ce schisme ne prend pas ses sources sur un supposé différent entre Truffaut et Tavernier lors de la sortie de L’horloger de Saint-Paul (1974). On peut regretter ici que l’auteur se perde dans cette démonstration. Il semble ajouter du crédit à ceux qui ont lancé cette rumeur qui, en fin de compte, ne repose sur aucune preuve matérielle tangible, mais l’essentiel est ailleurs.
Ce livre reste tout de même une mine d’informations, tout en étant drôle mais aussi bouleversant dans sa dernière partie. Ce portrait fidèle ravira tous les amoureux du cinéma et du cinéaste. A l’image de cette anecdote à la sortie en salles de Capitaine Conan (1996) où Tavernier apprend les mauvais chiffres du box-office alors qu’il est en train de jouer au flipper dans un bar parisien. Il reste abattu quelques minutes mais finalement se reprend en déclarant à Frémaux : « Allez on continue ! ». Que Tavernier rencontre des échecs douloureux ou des succès, la finalité de cet artiste cinéphile restera toujours sa passion pour le cinéma car c’est cet amour pour le 7ème art et sa cinéphilie qui lui ont permis de trouver sa place dans l’existence mais aussi dans celle des lecteurs de ce témoignage.
Philippe Guillermo
Les livres consacrés à Jean Gabin ne sont pas rares. Depuis la biographie d’André Brunelin (Gabin, 1987), qui continue de faire autorité sur le sujet, jusqu’aux plus récentes publications de Brieu (Jean Gabin, gueule d’amour, 2001), Jelot-Blanc (Gabin inconnu, 2014) ou la bande dessinée de Vincenzo Bizzarri et Noël Simsolo (Jean Gabin, l’homme aux yeux bleux, 2021), la vie et l’œuvre du « vieux » continuent de faire couler de l’encre, parfois un peu trop nostalgique ou commerciale pour être honnête.
À l’occasion de la très belle exposition Jean Gabin proposée à l’Espace Landowski de Boulogne-Billancourt (mars 2022-janvier 2023), les éditions de la Martinière publient un livre cosigné par Patrick Glâtre, fin connaisseur de Gabin et membre actif de la Société des Amis du Musée Jean Gabin de Mériel, et Mathias Moncorgé, fils de l’acteur. L’ouvrage propose une biographie sommaire de celui qui fut le « patron » du cinéma français pendant plusieurs décennies (« Une histoire française ») et revient, film par film, sur son imposante carrière, découpée en plusieurs chapitres correspondant aux figures d’autorité de Jean Gabin, tour à tour « garant des traditions », « anarchiste royaliste » ou « homme du passé ».
Outre les documents issus des collections privées de l’acteur ou du Musée de Mériel, l’intérêt de cet ouvrage est d’avoir le souvenir, pour presque tous les films, de Mathias Moncorgé. Jamais passéiste ou justicier, le fils de Jean Gabin livre ses souvenirs comme un enfant se souvient de moments privilégiés ou amusants avec ses parents. On apprend des choses sur les pyjamas, les pipes, les colères, les amis, les vacances de Gabin, assez peu d’histoires de tournage. Les enfants de la star ne venaient presque jamais sur les plateaux.
Il faut lire ce livre en complément d’une rétrospective des plus grands films de l’acteur, confortablement installé dans un canapé, une pile de DVD/Blu-ray sur la table basse. Au-delà des classiques, le livre incite aussi à (re)découvrir quelques longs métrages moins connus : Sous le signe du taureau (Grangier, 1969), La Horse (Granier-Deferre, 1970), Le soleil des voyous (Delannoy, 1967), Monsieur (Le Chanois, 1964) ou les très beaux Rue des prairies (La Patellière, 1959) et Le jardinier d’Argenteuil (Le Chanois, 1966), où Jean Gabin se mue progressivement en statue du commandeur, figé dans une époque qui se transforme, dépassé par une jeunesse aventureuse, éprise de liberté.
Julien Morvan
HOMMAGE
Cent ans d’émotions avec Michel Galabru
Le célèbre comédien, né le 27 octobre 1922, aurait fêté son centenaire cette année.
Rétrospectivement, c’est une erreur de casting qui saute aux yeux. Je ne sais pas s’il faut absolument revoir le Tartarin de Tarascon (1962) de Raoul André et Francis Blanche, mais cette adaptation un peu molle du chef d’œuvre d’Alphonse Daudet a au moins le mérite de nous faire fantasmer (de rage) : Michel Galabru, qui incarne ici avec sa bonhomie habituelle le sympathique capitaine Barbassou, aurait été un extraordinaire Tartarin, homme méridional par excellence, chasseur de salon, fort en gueule et en ventre, disciple truculent d’un maître inégalable, bien plus haut que lui : « Ah ! le seul menteur du Midi, s’il y en a un, c’est le soleil… Tout ce qu’il touche, il l’exagère !… »
C’est peu de dire que Michel Galabru fut aussi un être d’excès. Plus de 300 rôles au cinéma et à la télévision, des années 1950 aux années 2010 ! Une vie de cinéphile ne suffirait pas à faire l’exégèse de la carrière du célèbre adjudant Gerber – laquelle ne manquerait pas de piment, assurément. Peuplée de navets (« pour faire bouillir la marmite »), de comédies potaches, de farces grivoises aux titres aussi improbables que les histoires filmées (Poussez pas grand-père dans les cactus, Le Führer en folie, Y’a un os dans la moulinette, Le mille-pattes fait des claquettes, etc.), sa filmographie donne des vertiges. Comme dans un grand huit, le spectateur monte péniblement vers les sommets de la comédie populaire franchouillarde avant de redescendre, à pleine vitesse, vers les tréfonds du nanar… tout aussi franchouillard. Point commun de toutes les compositions de Michel Galabru au cinéma : un personnage incroyablement Français.
Revoir ses films, même les plus indigestes, permet de composer une autre comédie humaine, entièrement tournée vers l’exploration nonchalante de l’homo francus d’après-guerre. Qu’il soit fait d’autorité débonnaire (Le gendarme de Saint-Tropez, Flic ou voyou), de patriotisme cocardier (Papy fait de la résistance), de colère (La guerre des boutons), d’allergie aux enfants (Quelques messieurs trop tranquilles), de religion (Les nouveaux aristocrates, Elle cause plus… elle flingue), de souffrances (Le petit baigneur), de corruption (Neuilly sa mère !) ou de syndicalisme (Te marre pas… c’est pour rire !), Michel Galabru incarne ce qu’il est parfois convenu d’appeler un « Français moyen », héros ordinaire d’un pays en paix, prêt pour la croissance, l’exode rural et les crises économiques, capable de parler avec aisance toutes les langues hexagonales (Audiard, Prévert, Pagnol et les autres), à sa place en bourgeois ventripotent ou en prolétaire miné par le labeur et l’alcool.
Au milieu de cette carrière de stakhanoviste, qui se confond avec sept décennies de cinéma français, quelques films surnagent. En 1976, Michel Galabru remporte le César du meilleur acteur pour son incroyable composition de tueur dans Le juge et l’assassin, de Bertrand Tavernier (un film tourné la même année que Le trouble-fesses, ça ne s’invente pas). Son rôle de collaborateur abject dans Uranus (Berri, 1990) est une autre performance glaçante (« Les dénonciations… ça me fait jouir. Les juges bien dégueulasses, les journalistes indicateurs, les besogneux de la Résistance, ceux qui vendent leur copain pour une petite place au soleil ou un reflet à la boutonnière, ça me fait jouir ! »). Outre ses rôles les plus célèbres (Papy, Gerber), Galabru est aussi un impayable Abraracourcix dans Astérix et Obélix contre César (Berri, 1999), un magistrat incorruptible dans l’excellent Section spéciale de Costa-Gavras (1975) ou encore un épicier impuissant dans Le grand bazar (Zidi, 1973), une comédie des Charlots dont le temps n’affecte pas trop les qualités. À l’instar de la chanson de Maurice Chevalier (et la parodie de Pierre Dac), tout ça, Ça fait d’excellents Français !
La plénitude de ces Caractères ferait presque des films de Michel Galabru une forme d’étude sociologique de la société française de la deuxième moitié du XXème siècle, comme les films de Grangier documentent, à leur façon, la France des Trente Glorieuses. On peut s’y perdre en nostalgie d’une France révolue ou condamner ces gauloiseries à l’oubli. Le cinéphile, un peu historien sur les bords, gardera toujours au cœur ce cinéma généreux, outrancier et populaire. Michel Galabru l’incarnait mieux que personne.
Julien Morvan
CARNET NOIR
Jerry Lee Lewis en enfer
Le pionnier du rock’n’roll s’est éteint à 87 ans, après une vie d’excès dédiée à la musique.
Aussi indispensable que peut être le Hitchcock/Truffaut (1966) dans la bibliothèque d’un cinéphile respectable, il faut posséder et relire à l’envi le Hellfire (1982) de Nick Tosches, incroyable biographie de Jerry Lee Lewis en forme d’élégie mystique. Greil Marcus le considère encore comme « le plus beau livre jamais écrit sur un interprète de rock’n’roll ». Plus qu’un livre, un classique de la littérature américaine, à l’image du destin romanesque d’un petit gars de Louisiane, né pour faire du piano un instrument diabolique et changer à jamais le visage de la musique. « J’entraîne le public en enfer avec moi » se plaisait à déclarer l’homme qui jouait du piano debout et qui, à l’occasion, n’hésitait pas y mettre le feu, sans s’arrêter de hurler ses titres les plus fameux : High School Confidential, Whole Lotta Shakin’ Goin’ On, Wild One ou Great Balls of Fire.
Great Balls of fire! est aussi le titre d’un film retraçant les débuts et les années de gloire de Jerry Lee Lewis. Réalisé en 1989 par Jim McBride (réalisateur oublié, auteur du remake américain d’À bout de souffle, avec Richard Gere), ce biopic sans génie reste une curiosité, agglomérat de comédie musicale, d’eau de rose et de sitcom. Outrancier, à la limite du ridicule, Dennis Quaid semble plus proche d’une mauvaise imitation de Louis de Funès que de la fureur sulfureuse du véritable Jerry Lee Lewis, qui est tout de même crédité au générique final comme Production Advisor. Le musicien a même réenregistré ses plus grands tubes pour l’occasion (« Performed by the Killer himself »).
Aujourd’hui, le film ressemble davantage à un pastiche qu’à une véritable hagiographie. Sommet de kitsch, de mauvais goût (les décors sont hideux) et d’écriture à la truelle, Great Balls of fire! est peut-être une œuvre incomprise ou maudite, à l’image du rockeur, qui enflamme désormais son piano en enfer pour l’éternité.
Julien Morvan