MAGAZINE / NOVEMBRE 2022
JERRY LEE LEWIS EN ENFER !
Aussi indispensable que peut être le Hitchcock/Truffaut (1966) dans la bibliothèque d’un cinéphile respectable, il faut posséder et relire à l’envi le Hellfire (1982) de Nick Tosches, incroyable biographie de Jerry Lee Lewis en forme d’élégie mystique. Greil Marcus le considère encore comme « le plus beau livre jamais écrit sur un interprète de rock’n’roll ». Plus qu’un livre, un classique de la littérature américaine, à l’image du destin romanesque d’un petit gars de Louisiane, né pour faire du piano un instrument diabolique et changer à jamais le visage de la musique. « J’entraîne le public en enfer avec moi » se plaisait à déclarer l’homme qui jouait du piano debout et qui, à l’occasion, n’hésitait pas y mettre le feu, sans s’arrêter de hurler ses titres les plus fameux : High School Confidential, Whole Lotta Shakin’ Goin’ On, Wild One ou Great Balls of Fire.
Great Balls of fire! est aussi le titre d’un film retraçant les débuts et les années de gloire de Jerry Lee Lewis. Réalisé en 1989 par Jim McBride (réalisateur oublié, auteur du remake américain d’À bout de souffle, avec Richard Gere), ce biopic sans génie reste une curiosité, agglomérat de comédie musicale, d’eau de rose et de sitcom. Outrancier, à la limite du ridicule, Dennis Quaid semble plus proche d’une mauvaise imitation de Louis de Funès que de la fureur sulfureuse du véritable Jerry Lee Lewis, qui est tout de même crédité au générique final comme Production Advisor. Le musicien a même réenregistré ses plus grands tubes pour l’occasion (« Performed by the Killer himself »).
Aujourd’hui, le film ressemble davantage à un pastiche qu’à une véritable hagiographie. Sommet de kitsch, de mauvais goût (les décors sont hideux) et d’écriture à la truelle, Great Balls of fire! est peut-être une œuvre incomprise ou maudite, à l’image du rockeur, qui enflamme désormais son piano en enfer pour l’éternité.
Julien Morvan
Novembre 2022