MAGAZINE / NOVEMBRE 2022
SI NOUS AVIONS SU QUE NOUS L’AIMIONS TANT, NOUS L’AURIONS AIMÉ DAVANTAGE
Ce témoignage littéraire est une nouvelle preuve s’il en fallait une que Thierry Frémaux, malgré toutes ses différentes casquettes (directeur délégué du festival de Cannes, directeur de l’institut Lumière, organisateur du festival Lumière) est un véritable écrivain. Ce témoignage se veut un portrait précis, chaleureux et amical de la personnalité tout en complexité de Bertrand Tavernier. L’auteur aborde les différentes facettes de son ami mais aussi de celui qui restera pour toujours son père de cinéma. Dans ce court récit, tout y passe, le Tavernier cinéphile, le Tavernier réalisateur et le Tavernier politique même si cet aspect est un peu mis de côté et occulte beaucoup les combats menés par le cinéaste lyonnais pour la défense du cinéma français.
Frémaux relate les nombreuses amitiés de Tavernier et son dynamisme hors normes qui ont fait de lui l’un des plus grands marathoniens de la cinéphilie internationale ; des salles de cinéma parisiennes ou provinciales aux festivals français mais aussi étrangers. C’est un portrait saisissant de cet ogre assoiffé de films mais aussi de littérature. Frémaux insiste également sur ses qualités de chercheur mais ne parvient pas à trouver le mystère de son érudition. Répondant à cette question de l’érudition, Tavernier lâchera cette phrase énigmatique : « Je sais beaucoup de choses car je ne regarde pas la télévision ».
L’ouvrage revient sur les critiques négatives du Monde, des Cahiers mais aussi et surtout de Libération depuis plus de 40 ans. Frémaux revient en détail sur le portrait très négatif publié par le quotidien de gauche au lendemain de la disparition de Tavernier. Il essaye de répondre à chaque argument avancé par Libération pour démonter les films mais aussi la personnalité de Tatave, lui reprochant son côté bon vivant (mieux vaut un bon vivant qu’un mauvais mort aurait répondu Tavernier). Frémaux tente de comprendre cette détestation en règle d’une partie de la critique Française envers le réalisateur. Il tente de démontrer que ce schisme ne prend pas ses sources sur un supposé différent entre Truffaut et Tavernier lors de la sortie de L’horloger de Saint-Paul (1974). On peut regretter ici que l’auteur se perde dans cette démonstration. Il semble ajouter du crédit à ceux qui ont lancé cette rumeur qui, en fin de compte, ne repose sur aucune preuve matérielle tangible, mais l’essentiel est ailleurs.
Ce livre reste tout de même une mine d’informations, tout en étant drôle mais aussi bouleversant dans sa dernière partie. Ce portrait fidèle ravira tous les amoureux du cinéma et du cinéaste. A l’image de cette anecdote à la sortie en salles de Capitaine Conan (1996) où Tavernier apprend les mauvais chiffres du box-office alors qu’il est en train de jouer au flipper dans un bar parisien. Il reste abattu quelques minutes mais finalement se reprend en déclarant à Frémaux : « Allez on continue ! ». Que Tavernier rencontre des échecs douloureux ou des succès, la finalité de cet artiste cinéphile restera toujours sa passion pour le cinéma car c’est cet amour pour le 7ème art et sa cinéphilie qui lui ont permis de trouver sa place dans l’existence mais aussi dans celle des lecteurs de ce témoignage.
Philippe Guillermo
Novembre 2022
Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage
Thierry Frémaux
Grasset, 2022